Le nouveau Pétersbourg (1)
On parle souvent de la "monumentomanie" du régime soviétique, mais la nouvelle Russie n'est pas en reste.
Saint-Pétersbourg en est la preuve.
Du neuf avec du vieux...
Avenue Izmaïlovski. Près de la cathédrale de la Trinité, la colonne de la
Gloire initialement érigée en 1886 pour commémorer la victoire sur la Turquie dans la guerre de 1877-1878. A l'origine, elle était faite avec les canons
pris à l'ennemi. Elle a été détruite au tout début des années 1930 et l'inauguration de la réplique a eu lieu en 2005. La Gloire ailée en bronze est une oeuvre de l'incontournable Zourab
Tsérétéli.
La cathédrale de la Trinité a retrouvé ses coupoles après l'impressionnant incendie d'il y a quelques années qui avait pris dans les échafaudages. Paradoxalement, l'incendie a
été "bénéfique" pour la cathédrale dont personne ne se préoccupait et a accéléré le processus de restauration qui s'éternisait. C'est ce que j'ai pensé au moment de l'incendie (très médiatisé) et
c'est ce qui est en train de se passer. Si la colonne a été érigée à cet endroit, ce n'est pas un hasard: la cathédrale était dédiée au régiment de la Garde Izmaïlovski, un régiment qui s'est
illustré lors de la guerre russo-turque justement. Et, plus important pour moi qu'une victoire militaire, c'est dans cette église que Dostoïevski s'est marié en secondes noces en 1867.
Dans la cour du palais de Marbre: le monument à l'empereur Alexandre III par Paul
(Paolo) Troubetskoï. C'est le monument d'origine, mais son parcours est mouvementé. Le monument a été inauguré en 1909 au centre de la place de la Vierge-du-Signe (aujourd'hui
place de l'Insurrection). En 1937, le monument a
été démonté sous prétexte de reconstruction de la place et confié au musée Russe. Autrement dit, une mise au placard. En 1994, la statue équestre d'Alexandre III a refait son apparition, dans un
nouveau lieu: la cour du palais de Marbre, filiale du musée Russe. Le palais abritait autrefois le musée V.I. Lénine et dans cette même cour, on pouvait voir, depuis 1937, l'auto blindée de
"l'ennemi du capital". Un chassé-croisé historique très significatif. Un piédestal ne reste pas vide longtemps ! Cet Alexandre III surnommé "l'hippopotame" ou "l'épouvantail" ressemble à une
caricature, mais c'est une autre histoire...
Pierre Ier, le fondateur de Saint-Pétersbourg et le premier empereur russe
Dans la forteresse Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Le sculpteur Mikhaïl Chémiakine a
offert ce monument à sa ville à la veille du referendum de 1991 où les habitants ont décidé d'abandonner le nom de Léningrad pour reprendre celui de Saint-Pétersbourg. Ce Pierre
Ier étrange attire les visiteurs. On peut grimper sur ses genoux pour se faire photographier. Toucher les genoux et les doigts du tsar porterait même bonheur ! L'oeuvre est aussi très décriée.
Son emplacement d'abord: à quelques mètres de la cathédrale où est enterré Pierre Ier. Et il faut dire que Chémiakine était très proche de l'ancien maire Anatoli Sobtchak (toutes ses oeuvres sont apparues à Piter lorsque ce dernier était maire), ce
qui ne lui amène pas que des amis, encore aujourd'hui. Sa personnalité irrite également beaucoup de monde. Selon moi, cette sculpture a sa place à Piter, mais un autre endroit serait plus
approprié. Il est probablement trop tard: difficile d'imaginer la forteresse sans ce "monstre" !
Chémiakine s'est inspiré du véritable masque de cire du tsar fait par Rastrelli (père). D'ailleurs, la pose du tsar rappelle le personnage en cire créé par Rastrelli et conservé
au musée de l'Ermitage.
Mais le
reste...
Gare de Moscou à St-Pétersbourg: depuis 1993, Pierre Ier a remplacé Lénine pour accueillir les voyageurs. C'est la copie d'un buste de Rastrelli (le père), fait du vivant du tsar.
Mais à la gare de Léningrad à Moscou, Lénine est toujours là (et la gare a gardé son
nom soviétique). Soit Moscou ignore superbement sa rivale Saint-Pétersbourg qui lui a ravi le statut de capitale pendant plus de 2 siècles, soit les communistes moscovites veillent. Tsérétéli
pourrait proposer une de ses oeuvres pour remplacer ce Lénine !
Les Romanov de nouveau à l'honneur...
A Pouchkine, anciennement Tsarskoïé Sélo (le "village des tsars" qui fête son tricentenaire cette année), près de St-Pétersbourg, il existe un ensemble de bâtiments très
surprenants datant de l'époque du dernier tsar Nicolas II et reconstituant le style architectural russe ancien. L'endroit est encore peu visité: Fédorovski gorodok. Non loin de la belle
cathédrale on trouve ce monument à Nicolas II, un des premiers, voire le premier à être érigé dans la nouvelle Russie, en 1993 (sculpteur V. Zaïko).
On reste dans les environs de la ville, à Pétrodvorets cette fois, dans le charmant parc Alexandria: le monument au tsarévitch Alexis Nikolaïévitch (1904-1918), datant de 1994. Le même sculpteur que pour Nicolas II, Viktor Zaïko. Juste à côté du "Cottage", le plus charmant palais de Peterhof selon moi. Alexis est né
non loin de là, un peu plus bas dans le parc, près du golfe de Finlande (il ne reste que quelques ruines du palais).
Les architectes qui ont fait Saint-Pétersbourg et ses environs. Beaucoup d'étrangers plus connus en Russie que dans leur patrie d'origine... Beaucoup d'Italiens notamment, ce qui, origines
obligent, me fait toujours plaisir !
Près de la résidence impériale de Tsarskoïé Sélo (son oeuvre), le monument au maître du baroque russe, Francesco Bartolomeo Rastrelli (1700- 1771). Italien né à
Paris, il est arrivé en Russie avec son père sculpteur recruté par Pierre le Grand. Rastrelli (fils) est devenu l'architecte favori de l'impératrice Elisabeth, fille de Pierre le Grand. Il a
marqué l'aspect architectural de Pétersbourg avec des bâtiments comme le palais d'Hiver ou la cathédrale Smolny.
Un cadeau de la ville de Milan pour le tricentenaire. Encore un cadeau ! En fait non, il y en a plusieurs. Milan a offert les bustes de quatre architectes italiens qui ont marqué
Pétersbourg. Rinaldi, Rastrelli, Rossi et Giacomo Quarenghi (1744-1817). Un des architectes favoris de Catherine II, fervente adepte du classicisme (aussitôt
arrivée au pouvoir, elle avait congédié Rastrelli). Les bustes ont été placés autour d'une fontaine, place du Manège (près de la rue d'Italie).
Un monument inauguré en 1995, dédié aux "premiers constructeurs" de Pétersbourg: Schlüter, Le Blond, Trezzini, Rastrelli
(père et fils)... L'arc symbolise "la fenêtre sur l'Europe" ouverte par le tsar Pierre Ier grâce à sa nouvelle capitale. Un monument malchanceux ! L'endroit était pourtant bien choisi, dans ce
petit parc du quartier de Vyborg: c'est là que se trouvait autrefois le cimetière où on été enterrés quelques-uns des grands noms de la première période de Pétersbourg: Trezzini, Le Blond,
Caravaque... Non loin de la cathédrale
Saint-Samson. Malheureusement, les bas-reliefs, la table et la chaise ont été dérobés (le bronze rapporte). Un projet de restauration est en cours (ils ont intérêt à prévoir une
vidéosurveillance !). C'est un monument de Mikhaïl Chémiakine, encore lui, comme le monument aux victimes des répressions
politiques avec ses sphinx et le monument à Pierre Ier cité plus haut.
Les écrivains qui ont créé le mythe de Pétersbourg
Monument à Fédor Dostoïevski (1997), place Vladimirskaïa, à deux pas de la dernière demeure
de l'écrivain aujourd'hui transformée en musée. Un écrivain si adulé par les étrangers et, à mon avis, trop peu par ses compatriotes. Que n'ai-je pas entendu lorsque je disais que mon écrivain
préféré était Dostoïevski ! Bien sûr, je suis une étrangère et j'aime Dostoïevski, ce n'est pas original, je sais. Cela me rappelle la venue à Pétersbourg de Gérard Depardieu, à
l'occasion du tricentenaire de la ville, en 2003. Je suis allée l'écouter à l'université. Une babouchka du public l'a "agressé" verbalement lorsqu'il parlait de son amour pour l'oeuvre de
Dostoïevski. Mais Depardieu était dans un tel état que rien ne pouvait entamer sa bonne humeur !
La ville (rues, places, maisons, cours, escaliers) et les personnages de Dostoïevski sont à ce point entremêlés que l'on peu suivre les personnages de "Crime et châtiment" dans leurs
pérégrinations. On sait qu'ils sont imaginaires, mais on s'attend à les croiser! Et on leur dresse des monuments, comme ici avec cette plaque, "la maison de Raskolnikov" où "se
trouvait" sa chambrette, dans la "rue S...", la ruelle Stoliarny (des Menuisiers).
" Il [Raskolnikov] serra la pièce de vingt kopecks dans sa main, fit une dizaine de pas et se retourna la face vers la Néva, dans la direction du
palais. Le ciel était sans le moindre nuage; l'eau était presque bleue, ce qui arrive si rarement dans la Néva. La coupole de la cathédrale, qui ne se dessine de nulle part aussi bien que de cet
endroit, depuis le pont, une vingtaine de pas avant la chapelle, était rayonnante et à travers l'air pur on pouvait nettement distinguer chacun de ses ornements. [...] Il était debout et regardait le lointain, longuement et fixement; ce lieu lui était particulièrement familier. A l'époque où il allait à l'Université, le plus
souvent en rentrant chez lui, il lui était arrivé cent fois peut-être de s'arrêter précisément à cet endroit, de fixer les yeux sur ce panorama véritablement superbe et de s'étonner, presque
chaque fois, d'une certaine impression qu'il avait, obscure et énigmatique. Il éprouvait toujours un froid inexplicable devant ce merveilleux panorama; ce tableau somptueux était plein pour lui
d'un esprit sourd et muet... "
F. Dostoïevski, "Crime et châtiment", deuxième partie, chapitre II
" C'est une ville de demi-fous. Si les sciences étaient cultivées chez nous, médecins, juristes, philosophes pourraient faire sur Pétersbourg les enquêtes les plus précieuses, chacun dans sa
spécialité. Il est peu d'endroits où on puisse trouver autant d'influences sombres, violentes ou bizarres, s'exerçant sur l'âme humaine, qu'ici à Pétersbourg. "
Sixième partie, chapitre III
(Traduction de Pierre Pascal très légèrement
modifiée)
" Он зажал двугривенный в руку, прошел шагов десять и оборотился лицом к Неве, по направлению дворца. Небо было без
малейшего облачка, а вода почти голубая, что на Неве так редко бывает. Купол собора, который ни с какой точки не обрисовывается лучше, как смотря на него отсюда, с моста, не доходя шагов двадцать
до часовни, так и сиял, и сквозь чистый воздух можно было отчетливо разглядеть даже каждое его украшение. [...] Он стоял и смотрел вдаль долго и пристально;
это место было ему особенно знакомо. Когда он ходил в университет, то обыкновенно, — чаще всего, возвращаясь домой, — случалось ему, может быть раз сто, останавливаться именно на этом же самом
месте, пристально вглядываться в эту действительно великолепную панораму и каждый раз почти удивляться одному неясному и неразрешимому своему впечатлению. Необъяснимым холодом веяло на него
всегда от этой великолепной панорамы; духом немым и глухим полна была для него эта пышная картина... "
" Это город полусумасшедших. Если б
у нас были науки, то медики, юристы и философы могли бы сделать над Петербургом драгоценнейшие исследования, каждый по своей специальности. Редко где найдется столько мрачных, резких и странных влияний на душу человека, как в Петербурге. "
Une coïncidence amusante avec "Crime et châtiment". C'était en 1995, juste avant mon premier voyage en Russie en tant qu'étudiante. Je voulais aller à Moscou, mais je me suis
finalement retrouvée à Pétersbourg. Avant ce premier voyage donc, j'ai voulu relire ce roman "pétersbourgeois" par excellence, "Crime et châtiment". Je n'ai pas eu le temps et je me suis arrêtée
au tout début lorsqu'un personnage chantonne "J'ai été dans la rue aux Clercs...", la rue Bolchaïa Podiatcheskaïa (une rue qui revient souvent dans le roman car c'est celle du
commissariat). Et c'est là précisément que j'ai habité pendant plusieurs mois lors de ce premier séjour ! En plein dans le quartier "dostoïevskien".
Le blog sera en pause quelque temps car je pars en vacances. Direction ma Côte d'Azur natale et la Bavière. A bientôt
!
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