Même lorsque je lis des livres sans rapport avec la Russie, je tombe sur elle... Voici un
extrait du savoureux récit d'enfance de Cavanna. A Nogent-sur-Marne, dans les années 30... Comme étrangers, il n'y a pas que les Ritals.
" Il y a bien aussi les Russes, mais les
Russes c'est pas des étrangers. Ils font des métiers de Français. Les Français ne les méprisent pas, ne se foutent pas de leur gueule à l'école. C'est eux qui méprisent les Français. Il paraît
que c'est tous des princes et des marquises et qu'ils se sont sauvés à cause des Bolcheviks qui tuaient tous les aristocrates. Les Français ne les aiment pas beaucoup, les Français n'aiment
personne, mais on sent qu'ils ont de la considération parce que c'est pas des vrais pauvres mais des gens riches qui ont vécu des choses très tristes, comme dans les feuilletons. Je connais bien
Litvinoff et les frères Lichkine, c'est des copains d'école, je suis même allé chez eux. C'est plein de tapis partout, même aux murs, et plein de photos, de vases, de bougies allumées en plein
jour, de drôles de Saintes Vierges, des icônes, ça s'appelle. Ils sont marrants, ces gens-là, ils foutent l'argent en l'air pour des conneries, et pourtant ils sont aussi pauvres que nous, mais
je ne sais pas comment ils se démerdent, même tout dégueulasses pleins de trous ils ont pas l'air petit monde comme nous autres qu'on est pourtant toujours bien propres bien reprisés. Maman dit
que c'est des bohèmes. "
François Cavanna, "Les Ritals", Belfond, 1978
(chapitre
"Vercingétorix")