"D'où sort-il tout cet argent ?" devaient se demander les Niçois en voyant le château Valrose du baron russe Pavel Guéorguiévitch von Derwies. Le château, à la lisière de la colline de Cimiez, a été construit en seulement 3 ans, de 1867 à 1870, par l'architecte David Grimm, professeur de l'Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg, avec le concours de M. Makarov, A. Crocci, B. Maraini et A. Bérenger. 800 ouvriers travaillaient sur ce chantier !
Aujourd'hui, le domaine de 10 hectares abrite la présidence de l'Université de Nice Sophia Antipolis, ainsi que le campus de la Faculté des Sciences. L'ensemble est inscrit aux monuments historiques depuis 1991 et mérite un petit détour.
La façade Nord. Le château était la résidence principale de la famille du magnat des chemins de fer russes, Pavel von Derwies, entre 1871 et 1881.
L'escalier principal s'ouvrait sur une suite de salons de réception et une grande salle de concert complétée dans les années 1870 par une véritable salle de théâtre (pouvant accueillir 400 personnes).
"L'oligarque" Pavel Guéorguiévitch von Derwies (фон Дервиз), né à Lébédian (aujourd'hui région de Lipetsk), appartenait à une famille roturière arrivée en Russie au XVIIIe siècle d'Hambourg. Pavel Guéorguiévitch a fait ses études à Saint-Pétersbourg. Il devait sa fortune à la construction et à la concession de lignes de chemin de fer en Russie. Mélomane, le baron faisait donner des concerts dans son théâtre de Valrose. Il entretenait un orchestre symphonique ! Le baron a aussi construit une école à Nice (elle porte encore son nom de nos jours, l'école "Vonderviesse" comme on dit par chez nous). La mort de Pavel von Derwies a été tragique: il a été foudroyé par le chagrin à l'âge de 55 ans après les obsèques de sa fille, en 1881 (le climat niçois ne l'a pas sauvée). A partir de ce moment, la famille s'est désintéressée du château.
Les armoiries des von Derwies reviennent souvent dans le décor de Valrose.
L'aménagement du parc est l'oeuvre du russe Vladimir Fabrikant et de Joseph Carlès (réalisateur des jardins du Casino de Monte-Carlo).
Deux des enfants du baron Pavel von Derwies.
Sergueï (1863-1943)
Varvara (ou Véra selon certaines sources, 1865-1881)
Les fausses ruines, non loin du château.
Le grand bassin surnommé "le lac".
Valrose est évoqué dans le célèbre roman de Louisa May Alcott (1832-1888), Les Quatre filles du Docteur March. Deux personnages s'arrêtent sur la terrasse belvédère:
"Valrose méritait bien son nom car sous ce climat de perpétuel été les roses fleurissaient partout. Elles grimpaient à la grande arche, se glissaient entre les barreaux de l'immense porte pour souhaiter aux passants un bonjour embaumé, elles bordaient l'avenue et serpentaient entre les citronniers et les palmiers légers jusqu'à la villa au sommet de la colline. Tous les recoins ombreux, où des bancs invitaient au repos, étaient des havres fleuris, chaque grotte fraîche avait sa nymphe de marbre souriant parmi les fleurs et chaque fontaine reflétait des roses cramoisies, blanches ou rose pâle, penchées comme pour sourire de leur propre beauté. Des roses recouvraient les murs de la maison, drapaient les corniches, grimpaient aux colonnes et débordaient des balustres de la large terrasse d'où l'on contemplait la Méditerranée ensoleillée et la blanche cité sur ses bords.
- C'est un véritable paradis de lune de miel, n'est-ce pas? As-tu jamais vu tant de roses? demanda Amy en s'arrêtant sur la terrasse..."
Un bâtiment annexe appelé "le petit château" était destiné à accueillir les hôtes des von Derwies. De nos jours, c'est le siège de la Faculté des Sciences.
Et pour finir, cachée au milieu de la verdure et des bâtiments du campus... une isba !
Une authentique isba provenant d'un des domaines du baron des environs de Kiev. Elle a été transportée (démontée) par bateau d'Odessa à Nice.
On peut lire ici ou là que cette isba servait de garçonnière au baron... Il y a une dizaine d'années, lorsque j'ai découvert cet endroit, l'isba abritait un café étudiant.
Vendue vers 1910 à des banquiers russes, puis acquise en 1920 par le "roi de l'étain" bolivien Simón I. Patiño, la propriété a été rachetée par la ville de Nice pour en faire le siège de l'Université de Nice Sophia Antipolis (1965).
Il y a également un cheval en bronze, presque grandeur nature, (je l'ai toujours vu à Valrose). Je le condidérais comme une oeuvre moderne, de plus peinturlurée, taguée. Dédaigneusement, je ne m'en suis même pas approchée et je ne l'ai pas photographiée. Je viens de lire qu'on la doit à Paul Troubetskoï. Arrrgh ! A voir aussi, l'entrée du côté de Cimiez, empruntée par la reine Victoria de Grande-Bretagne qui venait en voisine se promener dans le parc Valrose.
Le musée des Beaux-Arts à Nice (autre lieu "russe", c'est l'ancien palais de la princesse Kotchoubeï) conserve deux portraits des baronnes von Derwies: celui de Véra von Derwies, née Titz, l'épouse de Pavel Guéorguiévitch, par A. Cabanel, et celui de sa belle-fille Marina Shenig (l'épouse de Sergueï), par Benjamin-Constant.
Les von Derwies avaient des palais à Saint-Pétersbourg (yл. Галерная, 33-35, Английская наб., 28, actuel palais des Mariages) et Moscou (Садовая-Черногрязская, 6). Des domaines dans la région de Riazan: Kiritsy, Starojilovo... Les von Derwies ont aussi fondé un hôpital à Moscou, une école (où a étudié Marina Tsvétaïéva, aujourd'hui l'école N. 325)...
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