L'ancien palais des princes Youssoupov sur le quai de la rivière Moïka est l'un des bâtiments les plus visités de la ville. Pendant la saison touristique, les
abords sont toujours encombrés de cars, de minibus, de groupes organisés attendant leur tour... Bref, une usine à touristes. Le palais Youssoupov attire plus de monde que n'importe quel autre
palais de son genre. Ironie du sort, ce bâtiment n'a même pas le statut de musée. C'est toujours le "palais de la culture des
travailleurs de l'éducation". Cela n'empêche pas la direction d'accréditer ses guides et d'organiser des visites. On peut également se rendre au palais Youssoupov pour assister à des
spectacles dans le fabuleux cadre de l'ancien théâtre privé. Même si le palais actuel donne une idée approximative de celui d'avant la révolution, on devine le luxe dans lequel vivaient les
Youssoupov. C'est là aussi que le jeune Félix Youssoupov et ses complices ont assassiné Grigori Raspoutine en 1916, mais la plupart des groupes ne visitent pas
les pièces où cela s'est déroulé (l'accès y est restreint).
L'intérieur le plus exotique est le salon mauresque dans les appartements du prince, au rez-de-chaussée...
On doit ce salon à l'architecte
Alexandre Stépanov (fin XIXe), qui l'a aménagé à la place du salon oriental de I. Monighetti (qui datait du milieu XIXe). Du précédent intérieur, il ne reste que la
cheminée d'onyx et la division de la pièce par une arcade. Des citations du Coran ornent les murs. De
tels intérieurs étaient à la mode à l'époque et ce n'est pas forcémént une allusion aux origines orientales et
musulmanes des Youssoupov.
Les colonnettes de marbre, la fontaine,
les volets intérieurs en santal doré... On a du mal à imaginer que la pièce servait de salon ordinaire. On dirait plutôt une décoration de théâtre ! De là, on accédait au jardin
d'Hiver.
Le comte Félix Soumarokov-Elston, prince
Youssoupov, âgé de 16 ans (et son chien Gugusse) par Valentin Sérov (portrait exécuté en 1903 dans la propriété des Youssoupov à Arkhangelskoïé près de Moscou). Musée
Russe, Saint-Pétersbourg.
Félix Youssoupov parle du salon mauresque dans ses Mémoires (p.61) et des raisons pour lesquelles on lui en avait finalement interdit l'accès !
"A côté du cabinet de travail de mon père se trouvait une salle mauresque qui donnait sur le jardin. Cette salle, tout en
mosaïque, était l'exacte reproduction d'une chambre de l'Alhambra. Des colonnes de marbre entouraient une fontaine centrale; des divans recouverts d'étoffes persannes étaient placés le long des
murs. Cette pièce me plaisait par son caractère oriental et voluptueux, j'aimais à m'y abandonner à mes rêveries. En l'absence de mon père, j'y organisais des tableaux vivants. Je rassemblais
tous nos serviteurs orientaux et me costumais moi-même en sultan. Assis sur un divan, paré des bijoux de ma mère, je m'imaginais être un satrape entouré de ses esclaves... J'avais, un jour,
inventé une scène qui représentait le châtiment d'un esclave désobéissant - en l'occurence, Ali, un de nos serviteurs arabes. Celui-ci, prosterné, feignait d'implorer sa grâce. Au moment où je
levais un poignard pour frapper le coupable, la porte s'ouvrit et mon père parut. Insensible à mes talents de metteur en scène, il entra dans une grande colère: "F...z-moi le camp !", cria-t-il.
Et tous, satrape et esclaves, de s'enfuir en se bousculant. L'accès de la salle mauresque me fut, alors, interdit."
Le sort s'acharne sur le palais de la Moïka, classé pourtant "Monument historique et culturel d'intérêt fédéral". C'est d'abord
une partie de la colonnade dans la cour qui s'effondre en 2006, lors de travaux de restauration. Début 2008, alarme générale. Des fissures
apparaissent dans les fondations, sur la façade et à l'intérieur du palais. Des fissures sur le sol, les murs et des déformations multiples touchent le salon mauresque (une fissure datait de 1965, et
toutes les autres sont apparues en même temps, début 2008)... La raison probable tout de suite avancée est la construction d'un parking souterrain et les importants travaux dans un bâtiment voisin. On
met en cause aussi les travaux de canalisation devant le palais. Les reconstructions successives du bâtiment lui-même sont évoquées. Si on ajoute le fameux sol marécageux de Pétersbourg...
Dans cette vidéo de février 2008, on voit bien le salon mauresque et les dégâts. Durant l'été 2009, la partie du salon où il y a la fontaine était toujours
fermée.
La petite-fille de
Félix Youssoupov et de la princesse Irina de Russie, Xénia
Sfiris, née comtesse Chérémétiev, vit entre la Grèce et la France, mais elle se rend très souvent en Russie où elle est toujours reçue avec beaucoup d'égards. Elle a obtenu un
passeport russe par oukaze de Vladimir Poutine en 2000. Elle a fait parler d'elle en réclamant la restitution du palais de la Moïka, nationalisé après la
révolution. Elle s'est adressée à Poutine en personne il y a quelques années à ce propos. Bien sûr, elle affirme ne pas prétendre à tous les biens qui appartenaient à sa famille (la liste serait
effarante, rien qu'à Pétersbourg, six autres bâtiments de l'acabit ou presque de celui de la Moïka !), mais elle trouve incroyable de devoir aller à l'hôtel en venant à
Pétersbourg. C'est sûr, un pied-à-terre comme le palais de la Moïka, c'est plus confortable...
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