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Умом Россию не понять,
Аршином общим не измерить:
У ней особенная стать -
В Россию можно только верить.

Nul mètre usuel ne la mesure,
Nulle raison ne la conçoit.
La Russie a une stature
Qui ne se livre qu'à la foi.

Fiodor Tiouttchev (1866)

 

 

Да, и такой, моя Россия,
Ты всех краев дороже мне.
А. Блок


Люби Россию, ибо она мать твоя, и ничто в мире не заменит тебе её.
Казачья заповедь

 


Праздники России


 
22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 14:48


henri-troyat-11.jpgEn rangeant des papiers, je suis tombée sur ce texte d'Henri Troyat qu'on nous avait donné à la fac, un texte sur la langue russe et le vieil adage "traduction-trahison". Quoi qu'on en dise, j'aime beaucoup Troyat.


     "Traduire cette langue de diamant est une gageure à rendre fou de désespoir" écrivait le vicomte Melchior de Vogüé. Je m'en doutais avant d'avoir entrepris ma biographie de Pouchkine. Dès que je me mis à la tâche, mes appréhensions furent dépassées. Ayant résolu de citer d'abondants extraits de poèmes dans mon livre, je dus me résoudre à les transposer en vers blancs. Mais le russe est une langue à accent tonique. Sa mélodie est fondée sur le martèlement des syllabes fortes. Les mots français, rangés selon une mesure identique à celle de l'original, produisent une résonance plus uniforme. La musique s'étouffe, le charme s'évanouit. Autre difficulté: le vocabulaire russe est plus riche que le vocabulaire français, plus riche et moins précis. Par le seul jeu des préfixes et des suffixes, une même racine engendre de nombreuses combinaisons aux nuances variées. Il suffit de changer la terminaison d'un mot pour lui adjoindre une idée de lourdeur, de légèreté, de vulgarité, de dignité, de puissance, de joie, de malice. Cette possibilité est d'autant plus précieuse que les termes russes sont phonétiquement très proches de l'objet qu'ils désignent. Ils évoquent la réalité à la manière de certaines onomatopées. Ils sont porteurs d'images. Quand on étudie une langue étrangère, il arrive que tel ou tel vocable excite notre intérêt par sa consonnance bizarre. La langue russe conserve ce pouvoir pour ceux qui la parlent depuis leur enfance. Elle est aussi neuve pour moi que si je venais de l'apprendre. Si je dis: "nuage", en russe, un nuage entre dans mon cerveau. Je vois ce nuage. J'en suis plein. Pourtant je n'ai pas eu à réfléchir pour me le représenter. Les mots français, en revanche, moins jeunes, moins robustes, se sont peu à peu détachés du monde sensoriel. L'écrivain qui les emploie leur rend toute leur vigueur par la place qu'il leur assigne dans sa phrase, ou par le qualificatif dont, soudain, il les éclaire. Le style, en français, a donc, peut-être, plus d'importance qu'en russe. Je crois même qu'un beau texte français perd moins à être mal traduit en russe qu'un beau texte russe à être mal traduit en français. Et, si ce beau texte russe est un poème de Pouchkine, le problème devient insoluble, car, en dépit de ses efforts, l'adaptateur le dépouille non seulement de sa qualité musicale, mais aussi de cette chaleur émotive, qui accorde l'oeuvre d'art aux battements de notre coeur. N'est-ce pas l'usage de cette langue foisonnante, voluptueuse, qui a marqué la pensée des écrivains russes ? Le poète russe est merveilleusement servi par son dictionnaire. Il puise à pleines mains dans un trésor incalculable. Il est un maître magicien. Le philosophe russe, au contraire, éprouve de la peine à couler se démonstration dans une forme concise. Il y a toujours, autour de sa phrase, une frange d'indécision, de mystère. Ses idées les plus abstraites se trouvent, à cause de la langue qui les habille, entachées d'une sensualité personnelle. Sa dialectique est d'abord passion. Et cela est si vrai que la plupart des écrivains russes retournent inlassablement les thèmes essentiels de l'existence: Dieu, l'âme, la mort, le bien, le mal... Le vocabulaire dont ils disposent ne les incite pas à comprendre, à expliquer, mais à pénétrer, par effraction, dans l'épaisseur du secret. D'où une impression de monotonie obsédante, inquiétante. Les écrivains français sont moins torturés par la métaphysique. Quand ils l'abordent, c'est avec le désir d'émettre une théorie nouvelle sur un vieux sujet. La qualité techniquement parfaite de leur langue les incline à analyser, à diviser, à déduire, alors que le Russe considère le problème en bloc. Si un Russe se perd dans les méandres de la réflexion, il remplace la logique par le sentiment, l'intelligence par l'élan du coeur. Un Français, lui, ne renonce jamais complètement à la logique, à l'intelligence...

      En 1824, Pouchkine disait déjà que la Russie ne possédait pas de "langue métaphysique". Aucun chef-d'oeuvre de prose russe abstraite n'est venu, par la suite, démentir cette affirmation. La littérature russe ne peut se prévaloir ni d'un Descartes, ni d'un Montaigne, ni d'un Pascal, ni d'un Montesquieu. Ses plus grands penseurs sont des romanciers qui s'expriment à travers les tourments de leurs personnages. Leurs théories contradictoires ont donc la chaleur même de la vie. Elles ne nous proposent pas une explication rigoureuse du monde, mais nous éveillent à la merveilleuse angoisse d'être quelqu'un de ce monde.

      J'ai fait de mon mieux pour traduire de nombreux fragments des oeuvres de Pouchkine. Et, pourtant, je l'ai certainement trahi, appauvri, par crainte de m'écarter du texte original. Les Français ne liront les poèmes de Pouchkine avec profit que si un grand poète français les récrit sans se préoccuper de la succession des mots russes, mais avec assez de talent pour en restituer la musique. Comment convaincre les lecteurs français du génie de Pouchkine en soumettant à leur jugement les pâles adaptations qui portent sa signature ? Je me suis amusé à comparer quelques traductions de son poème Eugène Onéguine. De l'une à l'autre, l'infidélité le dispute à la maladresse. La diversité des interprétations est telle, qu'il est difficile de croire qu'elles se rapportent au même sujet. Derrière chaque version, se dresse la figure d'un compilateur scrupuleux, un dictionnaire dans la tête, un pèse-lettre à la place du coeur. Quant à Pouchkine, il est absent. Il est resté prisonnier des frontières."

Henri Troyat, Sainte Russie, Paris, Grasset, 1956, pp. 70 à 73




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